Sous les voûtes feutrées des clubs new-yorkais ou la lumière bleutée des scènes berlinoises, un frisson inattendu parcourt le jazz moderne. Il claque dans la syncope, se love dans une mélodie étrange, surgit comme un revenant dans les improvisations. Un parfum d’Europe de l’Est, venu chatouiller le jazz, l’aérien et le tellurique, depuis près d’un siècle. Mais comment ces musiques de villages, de fêtes populaires ou de synagogues, venues de Roumanie, de Bulgarie, de Hongrie ou de la Pologne, ont-elles sculpté le visage du jazz d’aujourd’hui ?
Si, jadis, le jazz a puisé dans le blues et les chants afro-américains la moelle de sa révolte, il s’abreuve depuis cinquante ans à d’autres sources – plus troubles, plus anciennes, venues des Carpates comme d’Odessa. Cette histoire-là commence bien avant l’ère des playlists, sur les routes migratoires, au fond de valises brinquebalantes emplis de clarinettes et d’accordéons. Les jazzmen s’en sont emparés pour bousculer leur grammaire : le résultat, c’est cette polyphonie d’aujourd’hui, insaisissable, qui relie Brooklyn à Bucarest.