Tru Thoughts : Le laboratoire du jazz sans frontières
Brighton, côte sud anglaise, la mer qui bat les pavés, et dans l’air… une énergie irrésistible. C’est là, au cœur des années 90, que jaillit une idée folle : raconter le jazz à sa fa...
23 mai 2025
Originaire de Suisse et installé en France, Erik Truffaz a développé une voix singulière dans le jazz dès les années 1990. Signé sur le prestigieux label Blue Note, il se distingue avec son quartet par des albums qui transcendent les cases habituelles. Mais c’est son ouverture à d’autres univers musicaux, notamment l’électronique, qui le place à part.
Partenaire de longue date du batteur Marc Erbetta et du bassiste Marcello Giuliani, Truffaz s’entoure également de talents de la scène électro pour façonner une musique où l’improvisation jazz s'harmonise avec des textures électroniques. Parmi ces collaborateurs figurent des figures clés comme Murcof, un maître du minimalisme électro, ou encore Nicolas Becker, dont le travail sur la spatialisation sonore enrichit l’architecture de leurs pièces communes.
Dans les albums d’Erik Truffaz, comme dans ceux nés de ses collaborations, la frontière entre le live et le studio s’efface. Prenons par exemple l’album “Bending New Corners”, un incontournable de sa discographie. Ce disque de 1999 marque une étape clé : Truffaz y intègre des éléments issus de musiques urbaines, flirte avec le trip-hop et s’inspire de productions électroniques comme celles de DJ Shadow. La texture des morceaux, entre groove lancinant et nappes planantes, ose le dialogue entre la précision de l’électro et l’organique du jazz.
Mais c’est sur scène que ce mariage prend toute sa dimension. Lors de ses concerts, Truffaz transforme chaque performance en laboratoire. À Londres, lors d’une série de shows au Ronnie Scott’s, il n’a pas hésité à introduire des séquences enregistrées à la volée et à les mixer en temps réel avec ses improvisations, créant un univers onirique et imprévisible.
Avec Murcof, notamment à travers l’album “Being Human Being” sorti en 2014, cette expérimentation atteint de nouveaux sommets. La rencontre entre la trompette aérienne de Truffaz et les paysages électroniques de Murcof produit une musique qui échappe aux prescriptions du jazz classique — portée par une rythmique suspendue, presque cinématographique. Ce disque, pensé comme une immersion sensorielle, crée une dynamique où les sons digitaux ne sont plus des artifices, mais bien des instruments à part entière.
Les collaborations de Truffaz ne servent pas uniquement son propre chemin artistique : elles témoignent également du dialogue fructueux entre deux mondes souvent opposés. À travers l’histoire, jazz et électro ont cultivé une relation d’observation mutuelle, mais rarement aussi intime. Truffaz s’inscrit dans une lignée qui inclut aussi des artistes comme Miles Davis — précurseur de l’utilisation des effets électroniques — ou encore Herbie Hancock avec son virage funk-disco sur l'album “Future Shock”.
L’une des révolutions de ces collaborations repose sur les outils technologiques. Les machines—loopers, synthétiseurs modulaires, ou traitements numériques—offrent de nouvelles palettes expressives. Truffaz les utilise pour superposer couches et harmonies, explorant des dimensions sonores parfois absentes dans des formats jazz plus traditionnels.
À travers ces choix, Truffaz ouvre de nouvelles voies d'accès au jazz pour un public parfois éloigné de ses codes. Les amateurs d'électro trouvent dans son travail un point d'entrée accessible et captivant, là où certains standards jazz peuvent sembler intimidants.
Les collaborations d’Erik Truffaz avec des musiciens électroniques ont donné naissance à bien plus que des morceaux ou des disques isolés. Elles ont aidé à redessiner le paysage du jazz contemporain.
Dans une étude réalisée en 2019 par la Royal Academy of Music de Londres, les chercheurs ont souligné que les disques mêlant jazz et musique électronique représentent une part croissante du marché jazz depuis le début des années 2000, avec des artistes comme Truffaz, Squarepusher ou Portico Quartet en figures de proue. Ce type de fusion attire les jeunes générations, avides de crossovers sonores, et contribue à maintenir la vitalité économique et culturelle de la scène jazz.
Cet impact se fait aussi ressentir dans le vivier d’artistes émergents. Des musiciens comme Emile Parisien ou Ibrahim Maalouf ont exprimé leur admiration pour l’audace de Truffaz et leur volonté de poursuivre cette hybridation. À l'international, la scène jazz-électronique londonienne, portée par des labels comme Warp ou Ninja Tune, s’inspire largement de ces expérimentations.
Avec ses collaborations électroniques, Erik Truffaz ne s’est pas contenté de bousculer les frontières du jazz. Il a tracé des ponts, entre générations, entre mondes sonores, jusqu’entre disciplines artistiques. Ses albums avec Murcof et consorts dialoguent avec les visuels, le cinéma et les arts numériques, faisant de sa musique une expérience globale.
Alors, quel est l’impact de ces alliances entre Truffaz et les producteurs électroniques ? Elles montrent que le jazz n’est pas une forme figée dans l’histoire, mais une langue vivante qui se réinvente au gré des rencontres. Au fil des albums et des improvisations, Truffaz nous rappelle que la musique est avant tout un espace d’ouverture — une invitation à sortir des cadres, à écouter autrement, et à rêver plus loin.