Christian Scott aTunde Adjuah : Quand le jazz afro-futuriste devient une histoire collective

26 mai 2025

Christian Scott aTunde Adjuah n’est pas qu’un trompettiste virtuose. Il est une force motrice, une vision, une voix pour un jazz qui déjoue les attentes et brise les carcans. Véritable alchimiste sonore, ce natif de La Nouvelle-Orléans a redéfini les frontières du genre en empruntant autant à ses racines créoles qu’aux musiques du monde entier. Mais s’il y a une facette de son œuvre qui résonne particulièrement fort aujourd’hui, c’est sa capacité à collaborer, à fédérer des artistes autour de projets qui incarnent l’esprit du jazz afro-futuriste.

L'afro-futurisme, ce courant artistique et culturel qui mêle science-fiction, histoire africaine et émancipation, trouve chez Christian Scott un ambassadeur d'exception. Son œuvre convoque à la fois le passé, le présent et l’avenir, pour dessiner des paysages sonores où chaque instrument, chaque voix semble raconter une parcelle d’humanité. En quoi ses projets collaboratifs, en particulier, portent-ils cet héritage collectif ? Explorons cela.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est essentiel de comprendre ce que l’afro-futurisme représente dans le prisme du jazz contemporain. Popularisé dans les années 1970 par des figures comme Sun Ra, ce courant mêle dans une même explosion créative science-fiction, spiritualité africaine et critiques sociales. Imaginez un voyage stellaire où chaque note porte en elle une revendication politique, une affirmation identitaire. Le jazz afro-futuriste pose une question : et si le futur appartenait aussi à ceux qu’on a relégués à son passé ?

Dans ce mouvement, les collaborations jouent un rôle clé. Le jazz n’a jamais été un art solitaire, mais dans son volet afro-futuriste, les projets collectifs deviennent des écosystèmes – où chaque musicien injecte sa culture, son héritage et sa vision. C’est précisément ce que fait Christian Scott : bâtir des ponts entre traditions et modernité, entre racines et avenir.

Depuis ses débuts, Christian Scott a toujours privilégié les projets collaboratifs, à la fois comme vecteurs de créativité et comme posture philosophique. Prenons son concept de "stretch music", qu’il a développé à partir de 2015 : une musique "élastique", qui s’étire pour englober toutes les influences possibles, des rythmes caribéens aux textures électroniques. Cette approche ne pouvait naître qu’en interagissant avec d’autres artistes issus d’horizons divers.

Son groupe est emblématique de cette dynamique. Dans "The Centennial Trilogy" (un triptyque sorti en 2017 pour célébrer le centenaire du premier enregistrement de jazz), il collabore avec des musiciens venant aussi bien du hip-hop que des musiques afro-caribéennes. La batteuse Corey Fonville, par exemple, insuffle au groupe un groove percussif rappelant autant les Fela Kuti que les Beats de J Dilla. Un clash d’époques et de continents qui fonctionne parce que Scott sait laisser de l’espace à ses collaborateurs.

Sur le morceau "West Of The West", il déploie un dialogue fascinant entre sa trompette, jouée avec un souffle presque humain, et le saxophone de Logan Richardson. Leur échange est à la fois rivalité et communion, une métaphore parfaite du jazz afro-futuriste : des voix individuelles qui s’entrelacent pour imaginer ensemble un monde nouveau.

Au-delà de la musique, Christian Scott fait de ses collaborations un outil de narration et de revendication. Chacun de ses projets porte un message, ancré dans les luttes d’émancipation des peuples noirs. Prenons le projet "Axiom", un album live enregistré en 2020 au Blue Note de New York. Dans ce contexte marqué par une pandémie mondiale et les protestations du mouvement Black Lives Matter, Scott fédère son groupe pour livrer une performance à la fois vibrante et contestataire.

Sur scène, chaque instrumentiste apporte une perspective. Le bassiste Kris Funn joue des lignes graves évoquant la gravité des temps présents, tandis que la flûte d’Elena Pinderhughes, aérienne, semble symboliser une lueur d’espoir. Scott lui-même improvise des lignes mélodiques qui oscillent entre colère et réconciliation. C’est là tout l’intérêt de ces collaborations dans l’afro-futurisme : elles ne se contentent pas de produire des œuvres musicales, elles deviennent des récits pluriels qui questionnent notre époque.

Un autre aspect fascinant des projets de Christian Scott réside dans son utilisation de la technologie. Son instrument signature, une trompette designée par Adams Instruments, est fabriqué sur mesure pour élargir sa palette sonore. Mais il ne s’arrête pas là. À travers ses projets collaboratifs, il adopte des outils électroniques pour remixer en temps réel les performances des musiciens, ajoutant du delay, de la reverbe ou des effets glitch.

Prenons par exemple l’album "Ancestral Recall" (2019), où il s’entoure de talents tels que Saul Williams, poète et activiste, ou encore Weedie Braimah, spécialiste des percussions africaines. L’électronique se fond dans les traditions ancestrales, brouillant les lignes entre le live et le studio. Ici, la technologie ne déshumanise pas la musique : elle en devient un prolongement organique.

L’autre force des collaborations de Christian Scott est d’abattre les murs entre les générations et les géographies musicales. Dans un monde musical parfois clivé entre "vieux standards" et "nouvelles expérimentations", Scott réunit les deux.

Sur des titres comme "Ruler Rebel", nous entendons autant l’écho de grands anciens comme Miles Davis, explorateur inlassable, que les pulsations urbaines contemporaines. De plus, ses œuvres incluent des langues diverses, des rythmes emblématiques d’Haïti ou du Ghana, et des énergies qui parlent au-delà des mots.

Cette capacité à fédérer trouve une résonance particulière dans le jazz afro-futuriste, qui repose sur l’idée que la solidarité culturelle est la clé pour affronter un avenir incertain. À travers ses collaborations, Christian Scott tisse des récits où chaque identité, chaque influence compte. Dans cet univers, il n’y a pas de domination d’un style sur un autre, mais une conversation constante, fluide, où le collectif prime sur l’individu.

À travers ses projets collaboratifs, Christian Scott aTunde Adjuah nous rappelle que le jazz, et particulièrement le jazz afro-futuriste, est bien plus qu’une musique. C’est une dynamique vivante, évolutive et profondément humaine. En rassemblant des artistes de cultures, de continents et de disciplines variées, il créé des symphonies narratives qui résonnent de vérité.

Pour lui, le futur du jazz ne se pense pas en solitude. Il se construit à plusieurs, dans une alliance harmonieuse entre passé et innovation. Et quand Christian Scott élève sa trompette vers le ciel, entouré de musiciens talentueux, il nous invite à imaginer un monde où la diversité est une force et où le pouvoir du collectif repousse les frontières de l’art.