Jazz re:freshed : le laboratoire londonien où brillent les talents afro-diaporistes

11 juin 2025

Parfois, il suffit d’une salle minuscule, de quelques passionnés et d’une pincée d’audace pour changer tout un écosystème musical. Jazz re:freshed, c’est avant tout une idée simple née en 2003 dans le quartier de Ladbroke Grove : redonner au jazz son énergie, sa fraîcheur et surtout sa diversité. Quelques flyers, un peu d’huile de coude, et l’envie commune de rendre cette musique aussi vivante que ses origines. Très vite, la formule explose : on s’y bouscule chaque jeudi soir, pour écouter du jazz différent, réinventé par des jeunes artistes généralement issus de la diaspora africaine ou caribéenne. Loin des clichés poussiéreux, la scène de Jazz re:freshed pulse, groove, mélange hip-hop, broken beat et sons électroniques.

Mais quel est le secret de Jazz re:freshed pour transformer des talents en étoiles filantes – puis en étoiles tout court ? Pour saisir l’ampleur de leur action, il faut regarder plus loin que les clubs et les vinyles : il s’agit d’un vrai incubateur, d’une plateforme qui façonne le futur du jazz britannique et mondial.

L’histoire du jazz britannique contemporain porte la signature Jazz re:freshed dès ses fondations. Le collectif, créé par Justin McKenzie et Adam Moses, ne s’est jamais contenté d’une seule formule :

  • Les “5ive” albums : des mini-albums permettant à de jeunes artistes une première exposition professionnelle – on y retrouve Blue Lab Beats, Nubya Garcia, Kaidi Tatham…
  • Les Jazz re:freshed Live Sessions : des lives hebdomadaires résolument ouverts, rassemblant communautés locales, curieux et professionnels du secteur. Pour nombre de musiciens, ce fut le tout premier tremplin scénique.
  • Un label indépendant exigeant : il mise sur la diversité et l’hybridation, produisant et diffusant une myriade de disques inclassables, qui circulent désormais dans le monde entier.
  • Un pont avec l’international : conduction de tournées, participation au festival SXSW à Austin, jumelages avec Gilles Peterson et son Worldwide Festival, participation au British Council pour soutenir la circulation des artistes…

Ce dispositif, composé de moyens modestes mais d’une énergie redoutable, a permis de renverser la table et de bousculer un secteur parfois élitiste. Là où d’autres scènes tendaient à n’offrir qu’une place en bout de table aux artistes afro-descendants, Jazz re:freshed a construit la sienne autour d’eux.

Il suffit de s’attarder un moment sur les artistes propulsés par Jazz re:freshed pour comprendre l’ampleur du phénomène :

  • Nubya Garcia, saxophoniste, compositrice – aujourd’hui figure de proue du nouveau jazz UK, passée par les sessions Jazz re:freshed dès ses débuts, et nommée au Mercury Prize en 2021 pour son album Source (Concord Jazz).
  • Moses Boyd, batteur, producteur – a explosé avec le duo Binker & Moses, puis en solo, naviguant entre grime, jazz et afrobeat. Son premier “gros” concert ? Aligné sur une scène Jazz re:freshed. Aujourd’hui, il collabore avec Four Tet ou Gilles Peterson (The Guardian).
  • Shabaka Hutchings (Sons of Kemet, The Comet Is Coming), saxophoniste et chef d’orchestre du renouveau afro-futuriste — révélation Jazz re:freshed dès les années 2010, puis ambassadeur de la nouvelle école partout dans le monde.
  • Blue Lab Beats, duo producteur/beatmaker dont la fusion jazz/hip-hop/dub a été initiée (et défrichée !) lors des fameuses jeudis Jazz re:freshed.

Le constat est net : plus de 70% des artistes produits ou repérés par Jazz re:freshed lors de la première décennie 2003-2013 sont issus des diasporas noire britannique, africaine ou caribéenne (source : Southbank Centre). Un schéma quasi inédit à l’époque, qui contraste alors fortement avec la sous-représentation des artistes racisés sur les scènes jazz institutionnelles de Londres.

La force de Jazz re:freshed réside dans son engagement à toutes les étapes de la vie artistique :

  • Accessibilité des concerts : places abordables, communication multicanale dans les quartiers populaires, scènes ouvertes aux mineurs ; un esprit communautaire où le jazz n’est pas excluant.
  • Enregistrement et diffusion en ligne : bien avant la “pandémie du livestream”, Jazz re:freshed diffusait déjà en direct les soirées du jeudi, permettant aux artistes d’acquérir une notoriété au-delà de Londres – valorisation cruciale pour des musiciens parfois invisibilisés ailleurs.
  • Mentorat et formation professionnelle : workshops pour comprendre l’industrie, maîtrise de l’autoproduction, accompagnement sur la recherche de résidences et festivals.
  • Soutien face aux discriminations systémiques : prise de parole sur la question du racisme institutionnel dans le secteur du jazz, valorisation de récits alternatifs et pluriels, dénonciation de la sous-représentation dans les programmations mainstream (BBC News).

Des chiffres qui parlent : l’effet Jazz re:freshed sur les carrières

  • Plus de 600 concerts organisés depuis 2003, dont plus de 80% avec des artistes de couleur (Southbank Centre).
  • 25 artistes révélés figurent maintenant dans des line-ups internationaux (SXSW, Jazz à Vienne, North Sea Jazz Festival…), et plus de 10 ont décroché des distinctions majeures (Mercury Prize, MOBO Awards, Jazz FM Awards).
  • En 2019, la BBC estime que la “vague jazz UK” génère plus de 2,5 millions de livres de recettes annuelles pour le live, grâce à la percée de figures issues de la sphère Jazz re:freshed (BBC News).

Jazz re:freshed, ce n’est pas qu’une question de sons ou de chiffres. C’est la naissance d’un nouveau récit, d’une esthétique qui puise dans les racines afro-descendantes pour recomposer le jazz du XXIe siècle. On retrouve sous ses auspices une immense diversité :

  • Réappropriation des rythmes jazz, afrobeat, grime, dub, broken beat : ici, la filiation se fait par hybridation, jamais par mimétisme.
  • Prédominance de l’improvisation collective, héritage des musiques africaines et caribéennes, qui prend le contre-pied des stars isolées ; la “famille jazz” façon Jazz re:freshed s’étend, partage, infuse.
  • Discours politique assumé : que ce soit sur scène ou dans les paroles, les artistes ne se privent pas d’aborder les questions de justice sociale, de mémoire, de fierté noire.

On note aussi la convergence de mouvements : nombre d’artistes Jazz re:freshed sont aussi actifs chez Steam Down, Total Refreshment Centre, ou au sein de collectifs féminins tel que Nérija. Le mouvement ne connaît pas de frontières fixes.

Au-delà des têtes d’affiche, le collectif s’est engagé dans la transmission. Son projet Re:present, soutenu par le British Council, a permis à de jeunes musiciens de partir en tournée au Texas (SXSW) dans des conditions professionnelles, d’enregistrer en studio et de rencontrer la diaspora à l’international.

  • En 2022, sur dix artistes accompagnés dans le programme, huit étaient issus de familles africaines ou caribéennes, dont la percée n’aurait pas été possible sans ce relais.
  • Le poids du mentorship : Shabaka Hutchings cite fréquemment Jazz re:freshed comme instance de “safe space” pour sa création et ses collaborations qu’il n’aurait jamais osé présenter ailleurs (The Fader).

Parallèlement, Jazz re:freshed multiplie les collaborations avec des écoles, des collectifs jeunesse et des lieux alternatifs. Un objectif : faire du jazz un enjeu d’appropriation culturelle, rebattre les cartes pour la génération TikTok et Soundcloud, loin des carcans et du “conservatisme musical” dénoncé par Adam Moses, le co-fondateur (The Independent).

Jazz re:freshed n’est ni musée, ni mode — c’est un mouvement. En offrant un espace, des outils, des connexions et une visibilité à des artistes trop longtemps minés par l’invisibilisation, il a changé le visage du jazz britannique et influencé les circuits mondiaux.

Aujourd’hui, ce sont les ponts transatlantiques qu’on rebâtit, de Londres à Lagos, de Brixton à Brooklyn, traversant les genres, les générations, les langues. Le jazz, cette odyssée migratoire, (re)trouve grâce à Jazz re:freshed une beauté plurielle, rêche, vibrante.

Treize notes et mille histoires : quand la diaspora écrit la bande-son d’un nouveau monde, Jazz re:freshed allume la mèche. Qui sait où explosera la prochaine étincelle ?

  • Sources : Southbank Centre, The Guardian, The Fader, Jazz FM, BBC News, The Independent, British Council.